Black Bloc

Le Black Bloc

Le terme Black Block est arrivé brusquement au devant de la scène, comme la tête de cortège au devant d’une manif. La démonstration de force, et d’organisation, du B.B le 1er mai 2018 à Paris a de quoi surprendre, même des personnes « averties ». A suivi logiquement un festival de réactions politiques et médiatique. Qui sont les Black blocs ?

La question n’a pas grand intérêt pour deux raisons au moins. La première est que personne n’est un black bloc, qui n’est pas une organisation mais une tactique de manifestation employée par des individus. La seconde est que cette tactique n’est pas une fin en soi, même si les autorités et les organisations politiques, généreusement relayées par les médias, la présente comme le fait de « casseurs ». Le terme »casseur » sert, comme le fait remarquer Olivier Cahn à « dépolitiser la violence. Pour l’État, si vous concédez que la violence est sociale, alors vous reconnaissez que vous êtes dans une confrontation politique. » [Quand le peuple se sent trahi, la violence émerge septembre 2016  Siné Mensuel] L’image donnée du « casseur » veut qu’il casse pour casser, parfois « par haine de l’État ». « Comment peut-on haïr l’ État ? » aurait pu écrire Montesquieu, idée invraisemblable pour l’immense majorité de nos contemporains.

Deux articles, parmi le déferlement médiatique, élargissent le débat.

Géraldine Mosna-Savoye sur le site de France Culture dans un article intitulé « Pourquoi à tout prix savoir qui sont les Black Blocs ? » :

« Mais on peut aussi s’interroger sur ce désir même de savoir, pas le désir de savoir en général, mais ce désir de savoir qui sont les Black blocs. Inconnus, curieux, étranges, quelque chose nous échappe. Mais d’où au final ? N’est-ce pas aussi dans cette curiosité pour les attraper et les saisir à tout prix avec des catégories strictes ? Pourquoi vouloir les faire rentrer dans des catégories ? Pourrions-nous penser autrement qu’en termes de partis, d’opposition ou d’État ? Imaginer, grâce ou à cause des Black blocs, une organisation sans hiérarchie ou un monde sans frontières ?

…Pour comprendre ce que sont les Black blocs, autant leur donner directement la parole »

Le second, Black blocs : qu’est-ce que la « violence légitime » ? Thomas Schauder Le Monde, s’interroge sur le monopole de la violence détenu, et revendiqué, par l’État et sa légitimité :

« Ici, on peut (très) schématiquement distinguer deux écoles. La première pense que cette légitimité vient (paradoxalement) de l’arbitraire : la violence de l’État est légitime parce que c’est l’État. Si l’on n’est pas content, alors il faut prendre le pouvoir et devenir soi-même le détenteur du monopole de la violence. Ainsi, on pourra l’utiliser à des fins qui nous semblent meilleures. C’est la position de M. Mélenchon par exemple, mais aussi celle du PS.

La deuxième lecture est très différente. Elle consiste à voir dans la violence non pas seulement un moyen regrettable mais nécessaire, mais le moteur même de l’histoire. La violence de l’État ne serait pas plus légitime que celle de ses opposants : ce serait une lutte pour la défense d’intérêts divergents (l’État protégeant les intérêts des classes dominantes contre le peuple). Dans cette vision, inspirée par Marx et Engels, la légitimité serait un faux problème et seul compterait le rapport de force. Si l’État emploie des moyens violents, alors le peuple doit aussi pouvoir faire usage de la violence. …

…Avouons-le : il n’y a aucune réponse claire et définitive à apporter à ces questions. Ou plutôt, il n’y a aucune conciliation possible entre ces positions. Vous aurez toujours d’un côté l’argument selon lequel c’est le vote qui donne sa légitimité à un gouvernement, et de l’autre celui qui affirme que le vote ne change rien de toute façon. »

Il faudrait ajouter à ces deux approches la réflexion sur la notion de « violence ».

Tous ces sujets sont, ou seront, abordés d’une manière ou d’une autre. Elles dépassent largement la seule question du Black Bloc. La confrontation avec les forces de police et la destruction de biens lors de manifestations ne sont pas nécessairement liées, voire rarement, à la constitution d’un B.B. Et la tactique du B.B ne dit pas grand chose sur qui sont les participantes ni quelles sont leurs visions (au pluriel) de la société future.

L’important est je pense de retenir que le non respect des normes est considéré comme un danger, y compris en démocratie. Ainsi, les manifestations répondent à un certain nombre de règles juridiques. Doivent être déclarés le nom des organisateurs-trices, l’objet de la manifestation le ou les lieux de la manifestation ;la date et les heures de début et de fin ;l’itinéraire si la manifestation implique le déplacement de personnes (défilé, cortège) ; une estimation du nombre de participants attendus ; le descriptif des dispositifs de sécurité mis en place … Cette déclaration est soumise à autorisation des autorités (pour les grandes villes, la préfecture) qui peuvent juger que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, et l’interdire. Elles peuvent aussi en modifier le parcours ou le lieu.

Ces normes sont acceptées par la plupart des organisations syndicales et politiques. Elles sont refusées par ce qui est défini aujourd’hui comme le « cortège de tête » qui pense, en particulier, qu’une manifestation traditionnelle derrière des banderoles et qui se disperse à l’heure dite est inutile, puisque, si les autorités représentant l’État l’autorise, cela signifie qu’elle ne présente aucun danger pour lui.

Le danger vient donc des « inorganisé-es », des « ingouvernables » comme ils/elles se revendiquent parfois. A en lire Les black blocs: Preuves de la mutation de la contestation sociale, un rapport du Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN). ils/elles n’ont pas tout à fait tort:

« On peut constater aujourd’hui une modification de la physionomie des manifestations, ce qui constitue une gageure pour les forces de l’ordre françaises. Faire face de manière effective au nouveau phénomène que représentent les Black blocs passera sans doute par une intensification de la coopération et des échanges de bonnes pratiques entre pays concernés. »

« La mutation de la contestation sociale » est, curieusement, mieux perçue par les autorités que par les organisations politiques, y compris « révolutionnaires », parfois même anarchistes.

Comment, sur ce sujet, ne pas faire le rapprochement avec Notre Dame des Landes, autre forme de danger pour les autorités ? La « zone de non-droit » n’est rien d’autre qu’une autre forme de refus d’entrer dans des normes politiques (le modèle de démocratie représentative), économiques (capitalistes, fondées sur la compétition et le profit) et sociales (patriarcales et hiérarchiques). Les moyens considérables mis en œuvre pour détruire toutes les formes collectives de production et d’habitats, le tri entre projets acceptables et « hors normes », sont le reflet de la menace que représentent les « ingouvernables » et « incontrôlables ». On peut lire à ce sujet La Zad et la guerre civile mondiale Hervé Kempf

Dans les formes d’organisation, dans les modes de vie et de production, dans les manifestations, de plus en plus nombreux-ses sont celles et ceux qui refusent la « normalité ». La tactique du B.B produit peut-être de belles images au journal télévisé mais elle ne joue qu’un rôle insignifiant dans des formes de luttes beaucoup plus larges.

Nantes, 1er mai 2018

Si vous ne lisez/regardez qu’un document, le voici :

« Black Bloc » : Le côté obscur de la force Gaspard Glanz Taranis News

Gaspard Glanz est le fondateur de Taranis News, un média indépendant que n’aiment évidemment pas les autorités, protectrices des libertés comme chacun-e le sait. Gaspard fait donc l’objet d’une fiche S comme « individu susceptible de se livrer à des actions violentes. »

Il a été interpellé lors de la manifestation des « gilets jaunes » à Paris le 20 avril 2019.

L’occasion de rendre hommage et de remercier les journalistes/reporters qui sont sur le terrain, de « l’autre côté », et non sur un plateau TV, entourés de politicien-nes.

Taranis News


Quelques documents en ligne :

A Communiqué on Tactics and Organization to the Black Bloc, from within the Black Bloc Anti-Racist Action & The Green Mountain Anarchist Collective
A Nantes, la stratégie du Black Bloc Libération 16 avril 2014
Black Blocs : bas les masques Francis Dupuis-Déri
Communiqués de Black Blocs
Des black blocs pas vraiment sans Gênes…
Evian 2003 : Il faut éliminer le G8 (mais pas seulement). Récits, réflexions et communiqués
Les Black Blocs expliqués à Eric Ciotti (et à ma grand-mère)
Les Black Blocs : Preuves de la mutation de la contestation sociale Rapport du Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN).
L’Union émeutière contre l’Union européenne Nice décembre 2000
Manifestations, altermondialisation et « groupes d’affinité ». Anarchisme et psychologie des foules rationnelles Francis Dupuis-Déri
OTAN en emportent les black blocs. Notes sur la journée strasbourgeoise du 4 avril 2009
Seattle, 30 novembre 1999 Du bon usage de la théorie
The Cancer in Occupy Chris Hedges 6 février 2012
In response to The Cancer in Occupy David Graeber n+1 9 Février 2012 (Traduction R&B ci-dessous)
Pourquoi à tout prix savoir qui sont les Black Blocs ? Géraldine Mosna-Savoye

Voir aussi Le militantisme au-delà des Black Blocs Gabriel Kuhn sur R&B

Mise à jour : 10/06/2019

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The Black Bloc Papers

Une anthologie de textes fondamentaux du North American Anarchiste Black Bloc 1988-2005

La Bataille de Seattle à travers le Mouvement Contre la Guerre

Edité et compilé par David Van Deusen et Xaviar Massot du Green Mountain Anarchist Collective

Breaking Glass Press Shawnee Mission, Kansas

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Chapitre I Section l

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L’Émergence du Black Bloc: Histoire, Tactiques et Constitution Générale

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“Je porte le noir pour les pauvres et ceux qui se font tabasser… et pour les prisonniers qui ont purgé leur peine depuis longtemps.”

—Johnny Cash

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On peut remonter aux racines historiques du Black Bloc à partir de quand et où des personnes incluant une classe opprimée ou un groupe se soulève de manière militante contre ses oppresseurs. Des éléments de tactiques propres au Bloc ont été utilisés auparavant par la faction du Weather ou des Students for a Democratic Society (le SDS) en Amérique du Nord pendant les “Days of Rage” en 1969. (1) Plus précisément, la tactique esthétique et des méthodes plus élaborées de confrontation avec l’État ont commencé à faire leur apparition dans le mouvement Autonome en Allemagne dans les années 1980. Là, l’âpreté du mouvement anti-nucléaire aussi bien que les revendications du mouvement anarchiste/anti-fasciste de longue date exigeaient que les manifestations de masse soient portées à un haut degré de militantisme et d’unanimité. Par conséquent, des collectifs radicaux – souvent issus de la scène anarcho-punk et composés typiquement de membres de la classe ouvrière— commencèrent à inciter leurs membres et les militants sociaux à se rassembler dans les manifestations vêtus de noir (avec des masques) et de marcher comme un groupe de manifestants unis (parmi beaucoup d’autres). Avec leur identité efficacement dissimulée dans une uniformité temporaire, ils étaient à même d’orienter avec plus de réussite les actions de protestation dans des directions plus radicales tout en se protégeant contre une identification en vue d’une répression étatique directe ou des mises en examen ultérieures, ou les deux. Ce procédé a mûri au point où le Black Bloc naissant a commencé à mettre en place des tactiques d’auto-défense et militantes plus élaborées. Il faut comprendre que cette élaboration n‘a pas marqué la naissance d’une organisation formelle ou permanente. Elle a seulement fonctionné comme regroupement cohésif ponctuel avec pour objectif immédiat la création d’un contingent temporaire d’une force combattante de rue, qui se dissoudra en pratique avec la conclusion de l’action particulière. Cela ne signifie pas que le seul objectif des personnes et/ou collectifs concernés se résume à une action. Au contraire, celles et ceux qui constituaient communément le Bloc étaient engagés dans des organisations politiques et sociales et dans des projets que portaient les particularités de leurs communautés locales. Ils avaient leurs racines. (2) De plus, le militantisme et les actions du Black Bloc qu’elles entrainent doivent être compris comme l’incarnation d’une certaine façon de lutter parmi d’autres, une manière à la fois efficace et légitime. (3)

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Comme Black Bloc, ce regroupement constituait une alliance de personnes indépendantes et/ou de groupes d’affinité. Collectivement, le Bloc agissait par des méthodes de démocratie directe aussi souvent que possible, et par consensus interne au groupe d’affinité quand la situation l’exigeait. A part cela, le groupement évitait volontairement toute structure formelle ou hiérarchie autoritaire.

Hambourg 1986

De manière générale, le Bloc prenait position devant, à l’arrière ou sur le périmètre de la manifestation, de manière à assurer une forte présence défensive sur des points habituellement vulnérables. De cette façon, la police était empêchée de perturber le déroulement de la manifestation sans avoir au préalable affrontée une section militante, décidée et entrainée. Afin de renforcer sa capacité à atteindre ces objectifs tactiques, le Bloc a commencé à s’équiper de barres de fer, de battes en bois, et à porter des vêtements de protection et des casques. En outre, d’autre perfectionnements tactiques comprenaient l’usage de longues bannières, de perches ou de cordes délimitant le périmètre du groupe. Le but était de rendre plus difficile à la police d’isoler des individus pour les arrêter. Les flics devaient traverser une barrière tenue collectivement, tout en affrontant des coups de battes, afin de procéder aux arrestations.

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Plus que d’agir comme troupes de choc ou d’unités défensives au sein de manifestations plus larges, le Bloc a commencé à jouer un rôle offensif en ce qui concerne la destruction délibérée de biens privés capitalistes. Dans ce cas, les groupes d’affinité au sein du Bloc facilitaient le bris de vitrines, l’inscription à la peinture de slogans révolutionnaires et la destruction des véhicules militaires ou de la police. Bien évidemment, toutes ces actions étaient clairement dirigées contre des cibles capitalistes. Contrairement aux assertions des médias institutionnels, le vandalisme arbitraire n’a jamais été, n’est jamais, le but des pratiques du Black Bloc.

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Une autre fonction du Black Bloc est d’orienter la manifestation en cours vers une direction plus militante et globale socialement. En général, cela se faisait par le positionnement du Bloc à l’avant de la manifestation, obligeant ainsi à l’escalade entre les forces de police et les manifestants. Le Bloc s’assurait d’une telle escalade s’ensuivrait en résistant simplement aux arrestations, en refusant de rester sur les trajets autorisés pour la parade, en ne respectant pas les barrières placées par la police, et en dirigeant sa colère contre des cibles capitalistes.

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Le but d’une telle escalade repose en partie sur la croyance que un tel conflit entraine nécessairement de démasquer la nature brutale de l’État. La brutalité subséquente de la force policière/militaire d’en face est révélée . L’idée est que, en démontrant à une population plus large les méthodes violentes avec lesquelles le status quo est maintenu, un nombre significatif de personnes se radicalisera plus avant à travers cette démonstration visuelle et physique. L’escalade a également un effet désiré d’obliger une action à transcender ses fondations souvent libérales et à devenir un réel exemple de révolte contextuellement conditionnée. L’ action directe s’étend au-delà du simple symbolisme et plonge alors dans le vrai territoire de l’ insurrection révolutionnaire subjective et objective. La manifestation commence ainsi à assumer sa propre identité libérée du spectacle social de la culture marchandisée-consommateur et commence à se mouvoir de manière plus fluide et inventive. Le rôle de la manifestation, comme soupape des tensions sociales, à la fois impuissante et non-révolutionnaire, commence à s’inverser en une expression réelle d’agitation sociale. Sous cet angle, la spontanéité, via le militantisme et la violence, devient l’expression réelle de l’action de masse. Ainsi, l’action devient un moyen librement choisi à travers lequel l’identité humaine naturelle se manifeste par son rejet viscérale de la soumission, de l’autorité du capitalisme et du status quo.

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Cette fonction de clash social est nécessaire en ce qu’il permet aux individus opprimés et aliénés une réelle expérience où l’on est réprimée et où l’identité moutonnière et l’ennui sont brisés par une situation de révolte. A ce moment, l’individu commence à ressentir la réalité future, que les rues et la ville, comme création du travailleur, lui appartiennent vraiment. Alors, les possibilités d’une révolte totale et de la victoire se cristallisent à travers l’adrénaline de l’affrontement. En clair, cet affrontement est salutaire en ce qu’il permet à l’esprit de comprendre la vraie lutte physique, tout en permettant aussi de ressentir, même furtivement, la possibilité d’une autogestion collective débarrassée de la vague abstraction de la police et du gouvernement. La ville, dans le cadre de l’affrontement, devient vraiment celle que le peuple peut gagner, perdre, tenir ou abandonner.

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Pour paraphraser Jean Paul Sartre, “La raison pour laquelle les travailleurs ne se révoltent pas …c’est parce qu’ils ne s’imaginent pas à quoi ressemblerait une société libérée.”Ou encore l’anarchiste Michel Bakounine, “Souvenons-nous, aucun pas en avant dans l’histoire ne s’est jamais concrétisé sans être auparavant baptisé dans le sang.”

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Par conséquent, indépendamment du succès particulier d’une action donnée, l’action des membres du Black Bloc doit être encouragée et comprise à la fois comme nécessaire et positive en ce qui concerne l’avancement continuel de la lutte révolutionnaire anarchiste. (4)

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La pratique de tels Blocs sont aussi socialement/psychologiquement saine qu’elle est réelle. A ce titre, les personnes qui se revendiquent de gauche, ou même anarchistes, et qui argumentent contre le besoin d’un Black Bloc, ou que le Bloc est socialement et/ou tactiquement inefficace, doivent être considéré comme n’ayant pas compris la dynamique subjective de la révolte, ou comme si accablées par l’indécision et l’acceptation tacite du status quo, et comme ignorantes au mieux, ou comme ennemies au pire. Ces personnes remplacerait l’action réelle par une autre génération de débats, de réunions et d’ennui. (5) En dépit de leurs buts déclarés, elles deviennent les messagers de la défaite et de l’aliénation du fait de leur incapacité à concevoir le risque, l’action, le mouvement et l’expérience de la liberté. Les révolutionnaires feraient donc bien de discréditer leur discours à travers l’action et, comme nous ne sommes pas des néandertaliens assoiffés de sang, l’élaboration continuelle de la théorie anarchiste légitime.

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Suivant l’exemple des allemands, la formation de Black Blocs s’est répandue bientôt à travers l’Europe, où il sont encore aujourd’hui en activité avec une relative intensité et efficacité. (6) Au début des années 1990, ces tactiques commencèrent à s’implanter en Amérique du Nord. Des Black Blocs furent organisés durant la Guerre du Golfe en 1991, lors de la Convention Nationale Démocrate en 1996, et dans une multitude d’autres manifestations tout au long de la décennie.

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Cependant, l’efficacité du Black Bloc en Amérique du Nord semble seulement atteindre un certain niveau de maturité avec cette nouvelle décennie ; une maturité qui va de paire avec celle du mouvement de protestation sociale dans son ensemble.

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Pendant la Bataille de Seattle (7), le Black Bloc (approximativement au nombre de 200) a d’abord focalisé son attention sur la destruction de biens d’entreprises. Lors de l’action A16 (16 avril 2000), (8) le Bloc ( 1 000 à peu près) a consacré l’essentiel de son énergie à combattre la police engagée dans des actes violents contre lui-même comme contre les manifestants non-violents. Les Black Blocs étaient aussi présents aux Conventions Nationales Démocrates et Républicaines cette année-là. (9) Là, ils montrèrent à nouveau leurs tactiques d’auto-défense et de destruction de biens privés capitalistes et ou d’État (ex.des voitures de police). Des Blocs étaient présents à une multitude de manifestations le Premier Mai en 2000, au premier débat des élections présidentielles à Boston, (10) à l’investiture du Président Bush, (11) ainsi qu’à un certain nombre d’autres évènements.

Seattle 1999

Les particularités de chacune de ces actions ont entrainé une variété de tactiques. Ces différences méritent d’être évaluées afin d’établir quelles tactiques précises sont efficaces dans certaines situations. Une telle analyse est nécessaire pour que nous puissions mieux nous préparer aux confrontations futures. Ce n’est cependant pas le but de cet essai que d’entrer dans les détails. L’intérêt premier est seulement d’examiner l’histoire du Black Bloc et de la situer dans un contexte social plus large. Ces particularités, par conséquent, bien qu’importantes, ne seront pas abordées pour l’instant afin de rester concentré sur le sujet actuel. Je vais donc revenir sur les origines sociales du Black Bloc nord-américain.

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Composition Sociale du Black Bloc Nord-Américain

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Le Black Bloc en Amérique du Nord, principalement composé d’individus issus de la contre-culture contemporaine, et le plus souvent venant d’un milieu ouvrier, est une expression politique du développement de la conscience de classe. (12) Les personnes et les collectifs constituant le Black Bloc peuvent être généralement décrits comme une jeunesse semi-aliénée, issue d’un milieu pauvre et déclassé ou ouvrier. Ce n’est pas pour insinuer qu’un nombre de participants au Bloc ne viennent pas des classes supérieures, ils existent. Néanmoins, avant que quelqu’un ne crie ‘charlatans’, il faut souligner qu’à l’époque actuelle du néo-libéralisme (le mode contemporain du capitalisme), les formes d’aliénations se développent même en dehors des milieux les plus opprimés. D’un autre côté, je n’ai pas l’intention d’insinuer que le noyau naturel révolutionnaire exclut les populations les plus exploitées et dépossédées matériellement. Ce n’est pas le cas. Je dis seulement que, comme la société évolue dans des directions plus abstraites et culturellement indésirables, de plus en plus d’individus au-delà des classes sociales, en particuliers les jeunes, commenceront à chercher des alternatives sociales au status quo. Et il est raisonnable de s’attendre à ce que un certain nombre d’entre elles adopte la vision sociale de la classe ouvrière et défavorisée activement révolutionnaire. D’ailleurs, l’histoire a prouvé que si l’origine de classe peut nous apprendre beaucoup sur le potentiel général et la conduite de grands groupes, elle nous dit aussi que ces généralités ne constituent pas des lois absolues lorsqu’elles s’adressent aux actions concrètes d’individus spécifiques. (13) Par exemple, l’un des plus grands révolutionnaires/théoriciens anarchistes de l’histoire, Michel Bakounine. Il était issu d’une famille aristocratique russe. Lui-même fut brièvement officier dans l’armée impériale. Il s’est néanmoins engagé durant toute sa vie adulte en faveur de l’émancipation du peuple. Il s’est tenu sur les barricades ouvrières pendant l’insurrection bavaroise, et, pour cette raison, ses origines de classe ont été à la fois dépassées et sont devenues insignifiantes. Donnez-nous dix divisions de Bakounine, quelle que soit leur condition économique passée, et notre tâche révolutionnaire sera terminée dans un délai de quelques jours. Alors, face à toutes vos critiques prétentieuses concernant les classes sociales, je vous mets au défi de dire ce que vous avez réalisé, vous.

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Ceci étant clarifié, j’utilise le préfixe ‘semi,’ pour décrire les participants aux Blocs comme‘jeunesse semi aliénée,’ pour souligner le fait que la vaste majorité d’entre elle est enracinée dans des communautés contre-culturelles au sein desquelles un degré de non-aliénation sociale est naturellement facilité. Ils peuvent faire partie d’une petite coopérative démocratique ouvrière , un collectif à vocation artistique basé sur le consensus, résider dans une communauté, une maison, un squat, gérés collectivement, subsister de fonds nets d’impôt issus du marché noir, ou tout simplement vivre comme les incitent à le faire leur logique anti-capitaliste et leur intuition. Autrement dit, une grande partie de leur temps est centré sur l’exemple concret d’une vie/créativité plus naturelle selon des modes d’existence socialistes.  Ils essaient d’être des types biens les uns envers les autres et avec les personnes défavorisés et les travailleurs autour d’eux. Ils s’entraident sans en attendre un quelconque profit.

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Cela ne signifie pas, cependant, qu’ils ne sont pas aliénés, contrairement aux ouvriers ordinaires. Car, tout aussi « anti » que vous soyez en vivant dans une société autoritaire répressive, vous n’échappez pas à l’intoxication de l’esprit par le biais de l’État. Si l’on vit dans une ferme collective, cette communauté est néanmoins contrainte à payer des taxes foncières, ou la terre sera saisie. Si l’on passe son temps à travailler collectivement à une œuvre artistique libératoire, il faut disposer du matériel artistique, d’un abri et de nourriture; et il y a souvent assez de cohésion pour inciter quelques-uns à vendre leur travail comme esclaves salariés. Les travailleurs des coopératives ne font pas exception. De tels comportements sont obligés de continuer à fonctionner sur des bases de trésorerie, dans la mesure ou certaines fournitures nécessaires (la peinture, par exemple, si la coopérative ne se consacre pas à ce commerce) ne peuvent pas être acquises facilement par le troc ou autres moyens. Ceci étant dit, on sent l’odeur du capitalisme contemporain dans les meilleures maisons. Certaines sentent beaucoup plus que d’autres.

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Néanmoins, un anarchiste au sein d’une contreculture est moins aliéné , vis à vis de lui-même et des autres, comparé aux personnes immergées entièrement dans la culture dominante. Dans ce cas, au moins, la marchandisation à outrance, le consumérisme, le capitalisme et l’autoritarisme sont considérés comme des conneries à abolir et non comme base d’une reconnaissance sociale. Une fois compris cela, la question des raisons sociales, politiques et historiques plus profondes de l’émergence de cette faction révolutionnaire dans les nations occidentales, demeure. Car les particularités de ses tendances culturelles la rend quelque peu unique comparée à ses ancêtres prolétaires. Elle n’est pas avenante avec l’analyse autoritaire des différents partis communistes, n’est pas souvent motivée par la faim (on peut trouver une quantité de nourriture dans les poubelles de l’Oncle Sam) et elle ne limite pas ses revendications et sa vision sociale à l’égalité matérielle. Elle appelle à repenser et à réorganiser la société selon des lignes qui remettent en cause les fondements mêmes de la civilisation occidentale. Elle est anarchiste! Mais comment le contexte social lui a t’il donné naissance ? Quelle est sa composition? Que cherche – t’ elle exactement à abolir et par quoi a t ‘elle l’intention de le remplacer?

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Afin de répondre à quelques-unes de ces questions, et de resituer le Black Bloc dans un contexte sociologique plus large, je vais maintenant étudier les particularités de la réalité capitaliste actuelle.

Traduction R&B

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Notes de l’Auteur

1. Durant cette action, environ 600 jeunes communistes ont convergé vers Chicago pour protester contre le procès des « 8 de Chicago » et contre la continuation de la guerre du Vietnam. Leur méthode de confrontation était l’affrontement physique direct avec les forces de l’Etat (dans ce cas, la police). Ils s’organisèrent en petits groupes d’affinité , équipés de battes de bois, casques, pavés et autres moyens de basse technologie pour le combat en face à face. Une fois rassemblés, ils attaquèrent avec virulence les rangs de la police . Bien que la première journée fut la plus efficace (en termes de blessures infligées à l’ennemi et en destruction matérielle de propriétés privées capitalistes), trois journées de confrontations limitées suivirent. Bien que cette action fasse clairement le lien entre le Bloc actuel et les tactiques militantes passées, elle diffère par de nombreux aspects. Ils ont utilisé une chaîne de commandement incompatible avec les procédés de démocratie directe. Deuxièmement, leur action s’est déroulé sans l’avantage de faire partie d’une action de protestation plus large et plus diverse tactiquement. Pour cette raison, la police put focaliser tous ses moyens supérieurs exclusivement contre eux. Troisièmement, après l’action, la direction du Weather ne pensait pas qu’une telle forme de protestation puisse se répéter sans entrainer un bain de sang contre-productif (durant la première nuit d’affrontements, 10 membres du Weather ont été blessés par balles de fusils et un autre de révolver).

Pour citer un membre du Comité Central de Coordination du Weather, Jeff Jones, ‘Nous pension que nous avions atteint un degré de militantisme que nous ne pourrions pas dépasser en utilisant des tactiques de terrain. De plus, l’absence de mobilisation populaire après l’assassinat du Black Panther, Fred Hampton, nous a convaincu que notre rôle politique serait durable et efficace qu’à la condition d’opérer comme une sorte de guérilla, clandestine, derrière les lignes ennemies.’ (info rassemblée suite à un entretien privé avec lui à l’hiver 1997)

A partir de là, l’organisation a rapidement décidé de poursuivre ses activités clandestinement comme organisation de guérrilla urbaine. Pour ces raisons, les Days Of Rage doivent être interprétés comme rien de plus qu’un prototype primitif des actions du Black Bloc contemporain .

Pour un compte-rendu objectif de cette action voir Albert (ed.), The Sixties Papers. Shin’ya ono: You Don’t Need A Weatherman, Pages 254-263, Praeger, New York, 1984

2. Une telle activité au niveau local est à 100% nécessaire dans le mouvement en cours vers la révolution sociale.

3. Il est ici nécessaire de comprendre qu’à ce stade de la lutte, les tactiques employées par le Bloc sont plus efficaces lorsqu’elles le sont en parallèle avec d’autres. Cela inclut les blocus non-violents

le théâtre de rue, les manifestations ‘légales’, etc.. De plus, il faut aussi expliciter que de telles actions, lorsqu’elles sont utilisées en parallèle avec des tactiques plus militantes, sont efficaces et légitimes. Enfin, il faut noter que de nombreux anarchistes s’impliquent également dans de telles actions.

4. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas nous sentir concernés par le fait d’atteindre certains objectifs concernant des actions précises. Nous devons rechercher une efficacité optimale en affinant nos capacités tactiques et notre persévérance subjective. Cependant, même lorsque certains objectifs ne sont pas atteints, nous pouvons souvent crier victoire parce que cette forme d’action direct se traduit en avancées subjectives. Un bon exemple en est l’action du A16 où nous avons échoué à faire capoter la réunion capitaliste mais où nous avons réalisé des avancées psychologiques grâce à nos capacités démontrées de lutter contre les forces étatiques. Pour résumer, chaque action qui implique le mouvement anarchiste révolutionnaire est porteuse d’une pléthore de victoires et de défaites potentielles, au-delà du seul objectif déclaré sur le moment. Comme révolutionnaires contre l’ennui et l’aliénation, nos fins et nos moyens s’amalgament dans une manifestation naturelle continue du processus de démocratie directe et de lutte .

Ce paragraphe ne signifie pas que chaque Black Bloc doit être violent ou destructeur par définition. En fait, il est des moment où le Bloc décide volontairement de ne pas se conduire de cette manière à moins que les circonstances ne l’y obligent. Lors de ces moment, le Bloc est seulement présent pour montrer la solidarité du mouvement dans une certaine situation sociale. Néanmoins, même sans utiliser de tels moyens, le Bloc agit encore comme représentation d’une certaine menace, possibilité et idée. Le Bloc, par ses relations de personne à personne, représente la liberté et l’esprit humain affranchi incarnés dans une forme social donnée.

5. Cela ne signifie pas que le débat, les réunions d’organisation et autres activités du genre ne sont pas nécessaires. Bien au contraire. Cependant, elles ne sont pas souhaitables et utiles lorsqu’elles commencent à devenir une fin en elle-même. C’est une tendance que l’on retrouve souvent dans les organisations « gauchistes » en vertu de ses membres libéraux à la recherche d’un moyen pour se sentir mieux dans leur vie et leur style de vie implicitement oppressifs et se positionnant dans les faits comme des consommateurs bien nourris (ex. leur relative stabilité sociale) mis en danger par le fait de préconiser ou de participer à l’action directe révolutionnaire. Il faut se souvenir qu’il y a toujours une telle hésitation et un fétichisme du status quo à gauche, encouragé par l’État pour stabiliser des situations révolutionnaires (par ex. le parti communiste en France en 1968, le NAACP pendant la révolte noire dans les villes américaines la même année).

6. On peut trouver deux exemples récents dans dans les actions de Prague contre les réunions de la Banque Mondiale/FMI commencées le 26 septembre 2000, et les actions à Nice contre les réunions de l’Union Européenne des 6-7 décembre 2000.

7. Manifestation contre la réunion de l’Organisation Mondiale du Travail, Seattle, Novembre 1999.

8. Pour protester contre la réunion de la Banque Mondiale, Washington DC, 16 et 17 Avril 2000.

9. La Convention Nationale Démocrate s’est tenue à Los Angeles, Californie, du 14 au 17 août 2000. La Convention Nationale Républicaine, à Philadelphie, Pennsylvanie, du 1 au 3 août 2000.

10. Cambridge, Massachusetts, 3 Octobre 2000.

11. Washington, DC, 20 janvier 2001.

12. Bien sûr, il n’est pas sous-entendu ici que c’est la seule, ni même la plus importante, des modes d’expressions politiques. Il ne s’agit que d’une parmi une multitude d’autres.

13. Pour n’en nommer que deux : Michel Bakounine et Karl Marx

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En réponse à The Cancer in Occupy

La question du Black Bloc a traversé le mouvement Occupy et a été soulevée sous la plume de Chris Hedge, notamment, un journaliste libéral sympathisant du mouvement, sous le titre sans équivoque de “The Cancer in Occupy,”

Ci-joint, la réponse de David Graeber, parue dans n+1 le 9 Février 2012

J’écris cela en partant de l’hypothèse que vous êtes une personne bien intentionnée qui souhaite le succès de Occupy Wall Street. J’écris aussi à quelqu’un qui a été fortement engagé aux débuts de la préparation de Occupy à New York.

Je suis aussi un anarchiste qui a participé à de nombreux Black Blocs. Bien que je n’ai jamais été impliqué personnellement dans des actes de destruction de biens, j’ai pris part à plus d’une occasion à des Blocs où se sont déroulés des dommages matériels. (J’ai participé à encore plus de Blocs qui n’ont pas employé de telles tactiques. C’est une idée fausse courante que de réduire les Black Blocs à cela.)

Je n’étais pas, et de loin, le seul ancien du Black Bloc à prendre par à l’élaboration de la stratégie initiale de Occupy Wall Street. En réalité, des anarchistes comme moi constituaient le réel noyau dur du groupe qui eut l’idée d’occuper Zuccotti Park, l’idée du slogan des “99%”, le procédé de l’Assemblée générale et, en fait, qui décida que nous adopterions une stratégie de non-violence gandhienne et éviterions les actes de dommages matériels. Beaucoup d’entre nous avions participé à des Black Blocs. Nous pensions seulement que cela n’était pas une tactique appropriée pour la situation présente.

C’est pourquoi je me sens obligé de répondre à votre article “The Cancer in Occupy.” Celui-ci n’est pas seulement factuellement inexact, il est littéralement dangereux. C’est le genre de désinformation qui peut réellement faire tuer des gens. En fait, il a plus de chance, selon moi, d’y parvenir que n’importe quoi réalisé par un adolescent vêtu de noir et jetant des pierres.

Laissez-moi seulement exposer quelques faits préliminaires:

1. Le Black Bloc est une tactique, pas un groupe. C’est une tactique où les militants portent des masques et des vêtements noirs (à l’origine des vestes de cuir en Allemagne, plus tard des sweats à capuches en Amérique), comme posture d’anonymat, de solidarité et pour indiquer aux autres qu’ils sont préparés, si la situation le demande, à l’action militante. La nature même de la tactique dément l’ accusation selon laquelle ils essaient de détourner un mouvement et mettre en danger les autres. Une des idées du Black Bloc est que chaque personne qui vient à une manifestation devrait savoir ou se trouvent les gens susceptibles de s’engager dans une action militante et donc être capable de les éviter si elle le souhaite.

2. Les Black Blocs ne représentent aucune position idéologique précise ou, pour cette raison aucun position nanti-idéologique. Ils étaient plutôt composés principalement d’anarchistes par le passé mais la plupart d’entre eux comprennent des participants dont les opinions politiques vont du maoïsme à la sociale-démocratie. Ils ne sont pas unis par l’idéologie, ou par absence d’idéologie, mais seulement par le sentiment commun que créer un bloc de personnes avec des opinions politiques explicitement révolutionnaires et prêtes à affronter les forces de l’ordre avec des tactiques plus militantes si la situation le demande est, lors de l’occasion précise pour laquelle ils s’assemblent, une chose utile à faire. Il s’ensuit qu’on ne peut plus parler de “Black Bloc Anarchistes,” comme un groupe à l’idéologie identifiable.

3. Même si vous vous sentez obligé de sélectionner une infime minorité ultra-radicale au sein du Black Bloc et de prétendre que leurs opinions sont représentatives de quiconque porte un sweat à capuche, vous pourriez au moins vous tenir au courant sur le sujet. Il faut remonter à 1999 pour trouver des gens qui prétendaient que « le Black Bloc” était composé de partisans nihilistes primitivistes de John Zerzan opposés à toute forme d’organisation. De nos jours, l’approche préférée est de prétendre qu’il est composé de nihilistes insurrectionnalistes partisans du Comité Invisible, opposé à toute forme d’organisation.  Les deux sont des calomnies absurdes. La vôtre est passée de mode depuis 12 ans.

4. Votre commentaire au sujet des membres du Black Bloc qui haïssent les Zapatistas est l’une des plus bizarres que j’ai entendu. Bien sûr, si vous cherchez bien, vous pouvez trouver quelqu’un qui dira à peu près n’importe quoi. Mais je pense que, malgré la diversité idéologique, si vous faites un sondage parmi les participants d’un Black Bloc ordinaire et demandez quel mouvement politique dans le monde les inspire le plus, la EZLN obtiendrait environ 80% des votes. En fait, je parierai qu’au moins un tiers des participants d’un Black Bloc ordinaire porte au moins un signe de reconnaissance Zapatista. (Avez-vous déjà parlé avec quelqu’un qui a participé à Black Bloc? Ou seulement à des personnes qui ne les aiment pas?)

5. “La diversité des tactiques ” n’est pas une idée du “Black Bloc”. L’Assemblée Générale initiale de Tompkins Square Park qui a préparé l’occupation, si je me souviens bien, a adopté le principe de la diversité des tactiques (cela a du moins été débattu dans des termes très similaires), en même temps que nous nous nous accordions aussi sur le fait qu’une approche gandhienne serait la meilleure. Cela n’est pas contradictoire:  “la diversité des tactiques” signifie laisser un tel sujet à la conscience individuelle, plutôt que d’imposer un code à tous. Ceci, en partie, parce qu’imposer un tel code échoue invariablement. En pratique, cela signifie que des groupes font sécession par indignation et s’engagent dans des actions encore plus militantes qu’ils ne l’auraient fait autrement, sans coordination avec quiconque—comme cela a été le cas à Seattle, par exemple. Les résultats sont généralement désastreux. Après le fiasco de Seattle, et avoir vu quelques militants en livrés d’autres à la police – nous avons décidé rapidement que nous devions nous assurer que cela n’arriverait plus jamais. Ce que nous faisons si nous déclarons : “Nous serons solidaires les uns des autres. Nous ne livrerons pas nos compagnons manifestants à la police. Nous vous considèrerons comme frères et sœurs. Mais nous attendons la même chose de votre part en retour”—donc, ceux qui pourraient être disposés à s’engager dans des tactiques plus militantes agiront solidairement aussi, soit en ne s’engageant pas du tout dans des actions militantes de peur de mettre les autres en danger (comme beaucoup l’ont fait dans des actions pour la justice mondiale, où des Black Blocs se sont consacrés uniquement à protéger des blocus , ou à Zuccotti Park, où aucun bloc ne s’est constitué), ou de le faire de façon à ne pas faire courir le moindre risque à ses compagnons manifestants.

Tout cela est secondaire. J’’écris avant tout pour lancer un appel à la conscience. Votre conscience, puisque vous êtes clairement une personne sincère et bien intentionnée qui souhaite le succès du mouvement. Je vous demande : s’il vous plaît, réfléchissez à ce que je dis. Gardez à l’esprit, lorsque je le dis, que je ne suis pas un nihiliste fou, mais une personne raisonnable, un (et seulement un) des initiateurs à l’origine de la stratégie gandhienne adoptée par OWS— ainsi qu’un étudiant des mouvements sociaux, qui a passé beaucoup d’années à la fois à participer à de tels mouvements, ainsi qu’à essayer de comprendre leur histoire et leurs dynamiques.

J’en appelle à vous parce que je crois vraiment que le genre de déclaration que vous avez fait est extrêmement dangereuse.

La raison en est que, quelles que soient vos intentions, il est difficile d’y voir autre chose qu’un appel à la violence. Après tout, que dites-vous, au fond, au sujet de ce que vous appelez les “anarchistes du Black Bloc”?

1) ils ne sont pas des nôtres

2) leurs intentions sont délibérément malveillantes

3) ils sont violents

4) ils ne peuvent pas être raisonnés

5) ils sont tous pareils

6) ils veulent nous détruire

7) ils sont un cancer qui doit être extirpé

Reconnaissez que, lorsqu’il est exprimé en ces termes, c’est précisément la sorte de discours et d’arguments qui, historiquement, a été employé par ceux qui ont encouragé un groupe de gens à attaquer physiquement, à nettoyer ethniquement, ou à en exterminer un autre — en réalité, un type de discours et d’arguments qui n’ont jamais été employés en d’autres circonstances. En effet, que pouvons-nous faire d’autre face à un groupe constitué entièrement de fanatiques violents, qui ne peuvent pas être raisonnés et qui veulent notre destruction ? C’est la forme la plus pure d’un discours de violence. Bien plus que “fuck the police.” Entendre ce genre de discours employé par quelqu’un qui prétend parler au nom de la non-violence est tout simplement ahurissant. Je reconnais que vous vous êtes débrouillé pour trouver certains éléments marginaux de l’anarchisme qui tiennent un discours assez extrême, et cela n’est pas difficile, notamment parce que ce type de personne est beaucoup plus facile à trouver sur internet que dans la vie réelle, alors qu’il serait très difficile de rencontrer un “anarchiste du Black Bloc” tenant des propos aussi extrêmes que les vôtres.

Même si vous n’aviez pas l’intention de faire de cet article un appel à la violence, ce que je veux bien croire, comment pouvez-vous penser honnêtement qu’il ne sera pas compris ainsi ?

D’après mon expérience, lorsque je soulève ce genre de question, la première réaction venant des pacifistes est généralement du type “qu’est-ce que tu racontes? Évidemment que je suis pour n’attaquer personne! Je suis non-violent! Je pense qu’il faut seulement s’opposer à de tels élément de façon non-violente et les exclure du groupe!” Le problème est que, en pratique, cela ne se passe jamais ainsi. A chaque fois, ce qui arrive en réalité c’est soit a) livrer les camarades militants à la police, c’est à dire les livrer à des gens armés qui les agresseront physiquement, les menotteront et les emprisonneront, ou b) des agressions physiques directes de militants sur d’autres militants. Cela s’est déjà passé. Il y a eu des agressions de militants par d’autres militants et, à ma connaissance, jamais à l’initiative du Black Bloc, mais systématiquement venant de prétendus pacifistes contre ceux qui osaient porter une capuche, un bandana sur le visage, ou tout simplement, contre des anarchistes qui adoptent des tactiques que d’autres considèrent comme trop radicales. (Même des tactiques parfois non violentes, dois-je souligner. Pendant 15 minutes à Occupy Justin, j’ai été d’abord menacé d’arrestation, puis d’agression, par d’autres occupants du campement parce que j’exprimais ma solidarité avec, et rejoignais ensuite la résistance passive, d’un petit groupe d’anarchistes qui installaient une tente, considérée comme illégale.)

Cette situation provoque souvent des paradoxes extraordinaires. A Seattle, les seuls incidents de réelles agressions physiques de manifestants sur d’autres individus ne furent pas le fait de la police, mais d’attaques par des “pacifistes” contre des membres du Black Bloc engagés dans des actions de destruction de biens. Parce que ces derniers avaient décidé collectivement de s’en tenir à une stricte politique de non-violence (définie comme ne rien faire pour blesser un autre être humain), ils décidèrent unanimement de ne pas riposter. Lors de nombreuses occupations récentes, des « Services d’Ordre » auto-proclamés ont malmené des militants qui venaient aux manifestations vêtus de noir et de sweats à capuches, ont arraché leurs masques, les ont bousculés et frappés : toujours sans que les victimes n’aient commis le moindre acte de violence et refusant toujours, sur des bases morales, de riposter.

Le genre de discours que vous tenez, si il est largement diffusé, entrainera des violences de ce type beaucoup, beaucoup, plus graves encore.


Vous ne me croyez peut-être pas, ou ne considérez pas ces faits comme particulièrement significatifs. Si cela est le cas, laissez-moi traiter de la question dans un contexte plus large.

Si je comprends vos arguments, ils reviennent à dire :

1. OWS a réussi parce que le mouvement a suivi une stratégie gandhienne qui a démontré comment, même face à une opposition strictement non-violente, l’état réagit avec une violence illégale

2. Les éléments du Black Bloc qui n’agissent pas selon les principes de non-violence gandhienne détruisent le mouvement parce qu’ils fournissent une justification rétroactive à la répression de l’état, notamment aux yeux des médias.

3. Par conséquent, les éléments du Black Bloc doivent être écartés d’une manière ou d’une autre.

En tant que l’un des initiateurs de cette stratégie gandhienne, je me souviens que nous étions parfaitement conscients, lorsque nous l’avons décidé, que nous prenions un énorme risque. Les stratégies gandhiennes n’ont pas fonctionné historiquement aux États-Unis ; pas dans le cadre d’un mouvement de masse depuis les droits civiques, en fait. Ceci est du au fait que les médias US sont tout simplement incapables de qualifier de « violence » des actes de répression policière . (Une des raisons pour lesquelles le mouvement civique fit exception est que de nombreux américains ne considéraient pas à l’époque le « sud profond » comme faisant partie du même pays.) Beaucoup des jeunes hommes et femmes qui composaient le fameux Black Bloc à Seattle étaient en fait des éco-activistes qui s’étaient engagés dans l’occupation de forêts et qui opéraient selon des principes purement gandhiens — cela pour réaliser que dans les années 1990 aux États-Unis, des manifestants non violents pouvaient être brutalisés, torturés (avoir du gaz au poivre pulvérisé dans les yeux), ou même tués, sans réelle objection de la part des médias nationaux. Alors, ils se sont tournés ers d’autres tactiques. Nous savions tout cela. Nous avons décidé que le risque en valait la peine.

Néanmoins, nous étions aussi conscients que, lorsque la répression débutera, certains sortiraient du rang et répondraient de manière plus radicale. Même si cela n’arrivait pas de manière systématique et organisée, il y aurait des actions violentes.  Vous écrivez que des membres du Black Bloc ont dévasté un coffee shop d’un petit commerçant local”; ce dont j’ai douté lorsque je l’ai lu, puisque la plupart des Black Blocs sont d’accord sur une politique stricte de ne pas s’attaquer à des entreprises artisanales et j’ai découvert ensuite dans la réponse de Susie Cagle à votre article, qu’il s’agissait en réalité d’une chaine de coffee shops, et que sa destruction n’était pas le fait de personnes vêtues de noir. Néanmoins, vous avez raison : Quelques incidents de la sorte surviendront inévitablement. (1)

La question est comment y répondre.

Si la police décide d’attaquer un groupe de manifestants, elle prétendra avoir été provoquée et les médias le répèteront, même si cela n’est pas plausible à partir des faits. Il en sera ainsi que des manifestants agissent ou non de manière apparaissant de près comme de loin comme violente. De nombreuses déclarations de la police seront de toute évidence ridicules – comme lors de la récente manifestations à Oakland où la police a accusé les manifestants d’avoir jeté « des engins explosifs improvisés » — mais quelque soient les mensonges, les médias les prétendront vrais et il appartiendra aux manifestants d’apporter les preuves du contraire. Parfois, avec l’aide des réseaux sociaux, nous pouvons prouver que des attaques policières sont particulièrement injustifiées, comme dans le cas célèbre de Tony Bologna. Mais nous ne pouvons par, par définition, prouver que toutes les attaques de la police étaient injustifiées, même lors d’une manifestation précise ; c’est tout simplement matériellement impossible de filmer tout ce qui arrive sous tous les angles à la fois. Par conséquent, nous pouvons nous attendre, quoi que nous fassions, à ce que les médias fassent état de « manifestants affrontant la police » plutôt que de « policiers attaquant des manifestants non-violents.” D’autant plus que, lorsque quelqu’un renvoie une grenade lacrymogène, ou lance une bouteille, ou encore inscrit un slogan sur un mur, nous pouvons être sûrs que cela sera utilisé rétroactivement pour justifier la violence policière avant même que cela n’arrive.

Voilà la réalité, avec ou sans Black Bloc.

Si la question morale est “est-il défendable de menacer physiquement des personnes qui ne menacent pas directement les autres,” on pourrait affirmer que la question tactique, pragmatique , “même si il était possible de créer un service d’ordre capable d’empêcher tout acte qui pourrait être interprété comme ‘violent’ par les médias institutionnels ou par quiconque participant à une manifestation ou en étant le témoin, et quelle que soit la provocation, est-ce que cela aurait un effet significatif ?” En clair, est-ce que cela créerait une situation où la police penserait qu’elle ne peut pas utiliser la force arbitraire contre des manifestants non-violents? L’exemple de Zuccotti Park, où nous avons atteint un stade de non-violence plutôt abouti, suggère que cela est plus qu’improbable. Et peut-être plus important que tout, même si il était possible de créer un tel service d’ordre capable d’éviter le moindre lancer de bouteille au cours d’une attaque policière au gaz, afin de pouvoir légitimement prétendre que personne n’a rien fait pour la justifier, la relative meilleure couverture médiatique obtenue vaudrait-elle le coût , en terme de liberté et de démocratie, qui suivrait inévitablement la création d’une telle force de police interne ?


Ce ne sont pas des questions en l’air. Tous les grands mouvements de désobéissance civile non violente y sont confrontés d’une manière ou d’une autre. Jusqu’où seriez-vous ouvert envers ceux qui ont des idées différentes quant aux tactiques appropriées ? Que feriez-vous face à ceux qui iraient au-delà des limites généralement considérée comme acceptables par la plupart ? Que feriez-vous lorsque le gouvernement et ses médias présenteront leurs actions comme des justifications — même rétroactives—face à des actes violents et répréhensibles?

Des mouvements réussis ont compris qu’il était absolument nécessaire de ne pas tomber dans le piège tendu par les autorités et de ne pas passer son temps à condamner et à essayer de faire la police au sein des militants. Chacun doit exposer clairement ses principes. Chacun doit exprimer la solidarité dont il est capable envers les autres qui partagent la même lutte, et si il n’en est pas capable, doit essayer au moins de les ignorer et des les éviter, mais surtout, de garder à l’esprit les vraies causes premières de la violence, sans faire ni dire quoi que ce soit qui justifie cette violence à cause de désaccords tactiques.

Je me souviens de ma surprise et de mon amusement, la première fois où j’ai rencontré des militants du Mouvement de la Jeunesse du 6 Avril en Égypte, lorsque la question de la non-violence a été soulevée. “Bien sûr, nous étions non-violents » dit l’un des organisateurs initiaux, un jeune homme aux idées libérales qui travaillait en fait dans une banque. “Personne n’a jamais utilisé d’armes à feu, ou rien de tel. Nous n’avons jamais rien fait d’autre plus radical que de jeter des pierres!”

Voilà un homme qui avait compris comment gagner une révolution non-violente! Il savait que si la police commençait à tirer des grenades lacrymogènes directement à la tête des gens, à les matraquer, à les arrêter et à les torturer, quelques-uns riposteront parmi les milliers de manifestants. Il n’ y a aucune manière d’empêcher cela. La réponse appropriée est de rappeler à tous la violence des autorités, et de ne jamais commencer à écrire de longues dénonciations de ses camarades militants, en prétendant qu’ils font partie d’une cabale malveillante de fous fanatiques. (Même si je suis tout à fait sûr que si un hypothétique militant égyptien avait voulu trouver un exemple , disons d’un salafiste violent, ou même d’un trotskyste, essayant de saboter la révolution, en citant des preuves aussi vagues que les vôtres, en cherchant des déclarations enflammées et en prétendant qu’elles étaient représentatives de tous ceux qui jetaient des pierres, il aurait pu le trouver facilement) Cela explique pourquoi la plupart d’entre nous sommes conscients que le régime de Moubarak a attaqué des manifestants non-violents et non que beaucoup ont répondu en jetant des pierres.

Les militants égyptiens, en d’autres termes, ont compris ce que signifiait réellement le rôle que voulait leur voir jouer la police.

Mais pourquoi vouloir se limiter à l’Égypte? Puisque nous parlons de tactiques gandhiennes, pourquoi ne pas examiner le cas de Gandhi lui-même? Il a eu à répondre d’actes de personnes allant beaucoup plus loin que le lancer de pierres (même si le lancer de pierres des égyptiens allait lui-même déjà beaucoup plus loin que la plupart des actes des Black Blocs US). Gandhi faisait partie d’un mouvement très large qui comprenait des éléments utilisant des armes à feu, en réalité, des éléments engagés ouvertement dans le terrorisme. Il a commencé par ébauché sa propre stratégie de résistance civile de masse non-violente en réponse au débat sur les actes d’un nationaliste indien qui avait pénétré dans le bureau d’un représentant britannique et qui lui avait tiré cinq balles dans la tête, le tuant sur le coup. Gandhi a exprimé clairement que, même si il était opposé au meurtre en toutes circonstances, il refusait aussi de dénoncer le meurtrier. C’était un homme qui essayait de faire la chose juste, d’agir contre une injustice sociale historique mais l’avait fait de la mauvaise manière parce qu’il était « ivre d’une idée folle ».

Au cours des quarante années suivantes, Gandhi et son mouvement furent régulièrement dénoncés par les médias, tout comme les anarchistes non-violents, (et il faut noter ici que, si il n’était pas lui-même anarchiste, Gandhi a été fortement influencé par des anarchistes comme Kropotkine et Tolstoï), comme étant une simple façade cachant des éléments plus violents et à but terroriste, avec qui il était accusé de collaborer secrètement. Il était toujours tenu de prouver ses engagements non-violents en aidant les autorités à supprimer ces éléments. Dans cette situation, Gandhi est resté inflexible. Il est toujours préférable, moralement, insistait-il, de s’opposer à l’ injustice par des moyens non-violents que par la violence. Cependant, s’opposer à l’injustice par des moyens violents est encore moralement supérieur à ne rien faire du tout.

Et Gandhi parlait de personnes qui faisaient sauter des trains ou assassinaient des représentants du gouvernement. Pas de personnes qui brisaient des vitrines ou inscrivaient des grossièreté sur les murs au sujet de la police.

Traduction R&B

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NDT

1. Ci-dessous, le témoignage d’une toubib de rue d’Oakland sur la stratégie, ou le manque de stratégie, de certains Black Blocs.

An Open Letter to the Black Bloc and Others Concerning Wednesday’s Tactics in OaklandIndybay 4 novembre 2011

« Je suis une toubib de rue, je le suis depuis plus de dix ans. Je veux qu’il soit parfaitement clair que, si je ne m’identifie pas formellement et publiquement comme anarchiste, je dirais que beaucoup, sinon la plupart de mes valeurs, sont anti-capitalistes, anti-hiérachiques et qu’elles entrent dans un cadre contre toutes les formes d’oppression. En accord avec ces idées, je ne pense pas que la destruction de biens privés soient de la violence. Je suis aussi en désaccord avec l’idée que les flics puissent être provoqués. Je pense qu’utiliser ce terme c’est abandonner le terrain idéologique et légitimer leur comportement, étant donné qu’ils peuvent justifier leur violence en prétextant qu’ils ont été provoqués ou « obligés » d’intervenir.

Ceci dit, ce que que j’ai vu la nuit dernière au carrefour de la 16ème Rue et de Telegraph entre 23H30 et 3H30 me pose un grave problème.

La nuit dernière, mon problème n’était pas spécialement la confrontation entre policiers et manifestants. En fait, voir deux cent membres du Black Bloc marcher sur les policiers anti-émeute comme ils l’ont fait a été étonnant et motivant. C’est le genre d’action que je soutiens totalement, et c’est en partie l’une des raisons pour lesquelles je suis toubib de rue, parce que je veux que ceux qui entreprennent ce genre d’action sachent que je suis derrière eux de manière pratique. Je veux que les gens comprennent que la moitié du pouvoir que les flics ont sur nous, c’est notre propre peur d’eux, intériorisée, et que ce genre d’action commence à faire disparaître cette peur, de manière efficace. C’est je pense, très très important.

Mon problème, c’est au sujet des tactiques mal conçues pour l’occupation du bâtiment, en ce qu’elle ressemblait à une opération de prestige anarchiste plutôt qu’à une action révolutionnaire réfléchie pour prendre et tenir réellement cet espace. Je suis fatiguée des actions directes réalisées de manière à se transformer en séances photos et rien d’autre. Je suis fatiguée de ces barricades construites pour être abandonnées aussitôt que les flics commencent à tirer…

…L’incendie de la barricade était complètement inutile et a peut-être donné le prétexte à la municipalité pour appeler au démantèlement du campement ; le bris des vitrines et le vandalisme des magasins qui soutenaient la grève ont été totalement stupides et contre-productifs ; et voir le BB s’enfuir devant les flics et ne pas protéger le campement que leur action avait mis en danger, en laissant derrière eux de nombreuses personnes malades et mentalement fragiles, des gosses de rues et des sans abris, subir l’assaut de la police était si révoltant et dégueulasse que je ne peux pas encore le formuler tant je suis en colère face à la bravache et à la couardise dont j’ai été témoin.

Je veux voir les gens marcher sur la police. Je veux qu’ils s’engagent dans la destruction significative et stratégique de biens privés, je veux qu’ils marchent sur les postes de police, qu’ils montrent aux flics anti-émeute qu’ils n’ont pas peur mais je ne veux pas que cela soit fait au détriment des plus marginalisés. Ce que j’ai vu la nuit dernière m’a fait bouillir de rage.

Je veux gagner. Je veux que durent nos occupations de bâtiments. Je ne veux pas qu’ils soient repris au bout de quelques heures parce qu’une poignée de vandales cinglés, égoïstes et sans cervelle, qui ne s’identifient pas tous comme anarchiste ou du Black Bloc, ressente le besoin du brûler quelques merdes pour avoir leur poussée d’adrénaline en se battant avec les flics.

Quelques-uns des nôtres, y compris un pote toubib, sont aujourd’hui en prison suite à leurs actions et tout en faisant entièrement porter la responsabilité des arrestations sur les flics, je veux que le black bloc prenne conscience qu’il a créé les conditions pour que ce genre de chose arrive.

Je veux de meilleures tactiques, je veux que des comptes soient rendus devant les communautés qui peuvent être affectées par notre comportement et je n’ai rien vu de tel la nuit dernière.

J’ai vu des gamins du black bloc s’enfuir du campement alors qu’il était assailli par la police, et, en tant que personne qui a passé environ deux heures à négocier et à soigner une personne de toute évidence alors même que ces gamins s’enfuyaient pour se réfugier en toute sécurité chez eux, tout en faisant des commentaires du genre « on a nettoyé l’endroit » et « on l’a repris », je veux que ces gamins rendent des comptes pour les dommages causés,dommages rendus possibles par leurs privilèges de classe et de race.

Cette lettre est motivée par la colère et le dégoût de ce que j’ai vu, mais elle vient aussi d’une envie de soulever ces questions. Je pense qu’il y a place pour ce genre de tactiques dans notre mouvement, mais elles ne doivent pas être guidées par des notions de gloire anarchiste, de règne du chaos, et de la rage aveugle.

Solidairement

Une toubib de rue de longue date.

Traduction R&B

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